Un nouvel anglicisme s’invite dans nos quotidiens de travailleurs confinés ou exposés : Tracking, en vieux français, « traçage ». Tracer qui ? vous, moi, nous ! Tracer quoi ? Le virus qui est ou n’est pas en nous. Tracer comment ? En recourant aux potentialités, sans limite ou presque, des outils numériques. Concrètement, vous téléchargez une application mobile de géolocalisation (une de plus !). Vous renseignez votre état : positif au test Covid-19 ou présence de symptômes. Les personnes croisées, équipées de la même application, sont informées de votre état de santé comme vous l’êtes du leur. Mieux (ou pire selon les goûts), vos contacts enregistrés dans votre téléphone sont eux aussi automatiquement informés.
Le problème n’est pas technique. Dans ce domaine, on sait que l’intendance suivra. Il est avant tout éthique. Si la tendance au « grand déballage », via les réseaux sociaux notamment, ne nous a pas échappé, l’exposition au grand jour de nos informations personnelles en matière de santé ne correspond (toujours pas) pas à notre culture dominante. Nous autres syndicalistes n’avons rien oublié des combats, toujours actuels, pour que l’employeur n’accède pas aux informations médicales sur le personnel. Le risque d’un détournement des finalités des données récoltées n’est donc pas nul. C’est aussi et plus largement le respect de nos libertés individuelles qui est en ballottage.
A l’échelle de quel grand progrès et à quelle échéance faut-il mesurer le coût de ces libertés en sursis ? Répondre à cette interrogation suppose d’abord que l’on s’entende sur l’objectif visé : accélérer, optimiser le déconfinement laisse entendre l’exécutif. Alléger la pression sur l’hôpital qui pourrait manquer de lits si le pic de l’épidémie tardait encore à venir, lit-on par ailleurs. Bien trop consciente des vies en jeu comme des conditions d’exercice des professionnels de santé, la CFTC ne peut qu’adhérer à ces finalités. Elle privilégie cependant d’autres solutions à même de nous y conduire. Des solutions dont les gains lui paraissent plus immédiats que les « bienfaits » hypothétiques d’un traçage suivi d’une large diffusion de nos états de santé respectifs.
La multiplication des dépistages qui passe par un élargissement des lieux et acteurs du test me semble constituer une alternative crédible. Tout comme la reconfiguration, voire la réquisition de chaînes de production pour fabriquer les appareils respiratoires qui font défaut dans les hôpitaux. Pour fabriquer également les masques dont nos concitoyens devront être durablement et valablement équipés sur tous les lieux de travail comme en dehors. Si toutes ces pistes sont en cours de réalisation, il semble que l’intendance dans ce domaine ne suive pas encore comme elle le devrait. En de telles circonstances, l’autorité publique serait légitime à « passer commande » d’une mise en oeuvre simultanée et accélérée de ces quelques solutions. En concertation avec les partenaires sociaux pour ce qui est de penser puis d’organiser la relance de l’activité, nos libertés n’en seraient que mieux préservées !
Dans l’hypothèse où une solution de type « application » serait retenue, la CFTC pointe d’ores et déjà du doigt les limites du dispositif. Obligatoire ? Personne ne peut sérieusement y penser sauf à vouloir tester un remède aux effets pires que le mal ! Ne reste que l’option volontaire. Se pose alors la question des taux d’équipement. Tous les téléphones portables ne sont pas conçus pour accueillir ce type d’application. Quand bien même ils le sont, quelle proportion de nos concitoyens acceptera de s’afficher « positif avéré » ou « potentiel » ? Que deviennent les 15 jours d’incubation ? L’application ne signalera pas une personne contaminée sans qu’elle le sache elle-même. D’autres interrogations s’imposent quant aux implications d’un tel signalement : J’ai croisé une personne contaminée ou présentant les symptômes, suis-je systématiquement dépisté ? Qui prend l’initiative de mon confinement ? moi ? mon médecin ? mon employeur au titre de son obligation de sécurité vis-à-vis de mes collègues ?…
Parce que trop de flous demeurent quant aux éventuels gains d’un tel dispositif, parce que d’autres solutions moins liberticides sont à notre portée, la CFTC ne soutiendrait pas, si elle devait être prise, la décision d’instaurer le « tracking » !