Les députés et les sénateurs ont définitivement adopté, le 22 mars, la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Ainsi, le gouvernement sera habilité à prendre par ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la publication du texte, diverses mesures, notamment dans les champs du droit du travail et de la sécurité sociale. Celles-ci pourront entrer en vigueur rétro-activement, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020. Le texte autorise aussi l’exécutif à déclarer un état d’urgence sanitaire.
Afin de limiter les ruptures des contrats de travail, le gouvernement pourra, selon la loi d’urgence, prendre toute mesure pour renforcer le recours à l’activité partielle pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, notamment en :
– en adaptant de manière temporaire le régime social applicable aux indemnités versées dans ce cadre. Cette précision a été ajoutée par les parlementaires ;
– l’étendant à de nouvelles catégories de bénéficiaires. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, le dispositif pourrait notamment être ouvert, selon des modalités adaptées, aux travailleurs à domicile ou aux assistants maternels ;
– réduisant, pour les salariés, le reste à charge pour l’employeur et, pour les indépendants, la perte de revenus, en adaptant ses modalités de mise en œuvre ;
– favorisant une meilleure articulation avec la formation professionnelle ;
– prévoyant une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel.
Selon l’exposé des motifs du projet de loi, la mise en œuvre du dispositif pourrait être adaptée, notamment dans les petites et moyennes entreprises (PME) ou les très petites entreprises (TPE).
Pour permettre aux entreprises de faire face aux difficultés d’organisation auxquelles elles sont confrontées, compte tenu d’un fort taux d’absentéisme, le gouvernement pourra également être amené à modifier les conditions d’acquisition et de prise de congés.
Cette disposition a été partiellement réécrite par les parlementaires qui ont prévu qu’une fois les ordonnances prises, seul un accord d’entreprise ou de branche pourra, dans ce cadre, autoriser l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités de prise de ces congés prévus par le Code du travail et les conventions et accords collectifs. Le gouvernement avait initialement proposé que l’employeur puisse agir unilatéralement en la matière, sans limiter le nombre de jours de congés concernés.
En revanche, comme le prévoyait le projet de loi initial, tout employeur pourra imposer ou modifier unilatéralement les dates de prise des jours de réduction du temps de travail (RTT), des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié, en dérogeant là aussi aux délais de prévenance et aux modalités légales, réglementaires et conventionnelles.
Une fois les ordonnances adoptées, les entreprises devant faire face à un surcroît exceptionnel d’activité pourront déroger de droit aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail et aux repos hebdomadaire et dominical. Il s’agit des entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale.
Les modalités d’attribution de l’indemnité complémentaire perçue en cas d’arrêt maladie ou d’accident du travail seront aménagées, prévoit la loi, sans changement par rapport au texte initial. Il s’agit d’élargir le champ des salariés éligibles, détaille l’exposé des motifs. Le dispositif à venir s’inspirera de celui actuellement en vigueur, soit pour la mise en quarantaine, soit pour la garde des enfants de moins de 16 ans lorsque les établissements scolaires ne peuvent pas les accueillir.
Jours de carence temporairement supprimés:
Les parlementaires ont adopté un amendement du gouvernement supprimant temporairement les jour s de carence pour tous les assurés (salariés et agents publics). Cette mesure ne nécessite pas d’ordonnance. Ainsi, les prestations en espèces d’assurance maladie et le maintien de la rémunération des arrêts pour maladie sont versés dès le premier jour d’arrêt à compter de la date de publication de la loi et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire. Ce dernier étant déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi, sur l’ensemble du territoire national.
Comme le prévoyait le projet de loi du 18 mars, les dates limites et les modalités de versement des sommes versées au titre de l’intéressement (C. trav., art. L. 3314-9) et de la participation (C. trav., art. L. 3324-12) pourront être modifiées à titre exceptionnel. En effet, les sommes issues de la participation et de l’intéressement doivent être versées avant le premier jour du sixième mois suivant la clôture de l’exercice de l’entre-prise, conformément aux délais légaux qui l’encadrent, sous peine d’un intérêt de retard. Ces délais légaux seront assouplis, par ordonnance, afin de permettre aux établissements teneurs de compte de l’épargne de ne pas être pénalisés par les circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie, explique l’exposé des motifs du projet de loi.
De même, ont ajouté les parlementaires dans le texte, la date limite et les conditions de versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, dite prime « Macron », pourront être modifiées. En 2020, cette prime doit normalement être versée au plus tard le 30 juin (v. le dossier juridique -Rém.- nº 54/2020 du 19 mars 2020).
Les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique (CSE), seront également modifiées. Objectif : leur permettre d’émettre les avis nécessaires dans les délais impartis. Pour ce faire, précise l’exposé des motifs du projet de loi, l’ordonnance devrait faciliter le recours à une consultation dématérialisée de l’instance. Actuellement, la consultation du CSE en visioconférence peut être autorisée par accord entre l’employeur et les membres élus de la délégation du personnel du comité. En l’absence d’accord, ce recours est limité à trois réunions par année civile (C. trav., art. L. 2315-4).
De plus, le gouvernement pourra suspendre, prévoit désormais la loi, les processus électoraux des CSE en cours.
Par ailleurs, il pourra simplifier et adapter les conditions dans lesquelles les assemblées et les organes dirigeants collégiaux des personnes morales de droit privé (tels que les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises) et autres entités se réunissent et délibèrent ainsi que les règles relatives aux assemblées générales.
Adapter le suivi de la santé des salariés:
Les services de santé au travail devront également adapter leur activité à la situation exceptionnelle provoquée par l’épidémie de Covid-19. Ainsi, l’ordonnance pourra :
– aménager les modalités d’exercice de leurs missions, notamment le suivi de l’état de santé des travailleurs. Selon l’exposé des motifs, les services de santé devront prioriser le suivi médical des salariés dont les activités sont essentielles à la continuité de la vie de la Nation ;
– définir les règles selon lesquelles le suivi de l’état de santé est assuré pour les travailleurs qui n’ont pu, en raison de l’épidémie, bénéficier du suivi prévu par le Code du travail. En effet, la majorité des visites médicales, interventions auprès des entreprises et actions en milieu de travail seront différées, précise l’exposé des motifs. Les dispositions à venir auront pour objectif de sécuriser à la fois les services de santé au travail et les employeurs qui ne pourront pas assurer leurs obligations de droit commun.
Le gouvernement est habilité à adapter les dispositions dans le champ de la formation professionnelle et de l’apprentissage, notamment afin de :
– permettre aux employeurs, aux organismes de formation et aux opérateurs de satisfaire aux obligations légales en matière de qualité et d’enregistrement des certifications et habilitations, de versement de contributions. Selon l’exposé des motifs, l’ordonnance permettra d’aménager les conditions de versement des contributions dues au titre du financement de la formation professionnelle, en cohérence avec les dispositions qui seront prises en matière fiscale et sociale. De même, France compétences devrait disposer d’un délai supplémentaire afin d’enregistrer les certifications dans le répertoire spécifique, notamment celles dont l’enregistrement arrive à échéance dans les prochains mois ;
– d’adapter les conditions de prise en charge des coûts de formation, des rémunérations et cotisations sociales des stagiaires de la formation professionnelle. S’agissant des coûts de formation, l’ordonnance permettra, détaille l’exposé des motifs du projet de loi, de simplifier les modalités de prise en charge en privilégiant une logique forfaitaire, plus simple à mettre en œuvre.
Enfin, précise l’exposé des motifs, l’ordonnance permettra de prendre les dispositions nécessaires afin d’éviter les ruptures dans la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle et aménager les circuits de paiement des cotisations sociales dues à ce titre.
Assurer la continuité des droits des assurés sociaux:
Afin de préserver la situation des demandeurs d’emploi arrivant au terme de leurs droits à indemnisation au cours de la période de confinement, l’exécutif pourra adapter les dispositions légales déterminant les durées d’attribution des revenus de remplacement.
– d’assurer la continuité des droits des assurés sociaux et leur accès aux soins et aux droits, en adaptant les conditions d’ouverture, de reconnaissance ou de durée des droits relatifs à la prise en charge des frais de santé et aux prestations en espèces des assurances sociales ainsi que des prestations familiales, des aides personnelles au logement, de la prime d’activité et des droits à la protection complémentaire en matière de santé ;
– d’adapter les conditions d’ouverture ou de prolongation des droits ou de prestations aux personnes en situation de handicap, aux personnes en situation de pauvreté, notamment les bénéficiaires de minima sociaux et prestations sociales, et aux personnes âgées.
En outre, le projet de loi prévoit que, par dérogation, les Français expatriés rentrés en France entre le 1er mars 2020 et le 1er juin 2020 et n’exerçant pas d’activité professionnelle sont affiliés à l’assurance maladie et maternité sans que puisse leur être opposé un délai de carence. Un décret pourra préciser les modalités d’application de cette mesure.
Vers un report de l’élection TPE:
Le gouvernement est habilité à adapter l’organisation de l’élection professionnelle ouverte aux salariés des entreprises employant moins de 11 salariés, qui doit se tenir du 23 novembre au 8 décembre 2020.
L’organisation de ce scrutin est susceptible d’être perturbée par les restrictions mises en place pour faire face à la crise sanitaire actuelle. Le dépôt des candidatures syndicales – actuellement en cours -, ainsi que la constitution et la fiabilisation de la liste électorale, est particulièrement affecté. En effet, certains développements informatiques effectués par les prestataires agissant pour le ministère du Travail, ainsi que la transmission des données sociales à caractère personnel constituant la liste électorale, pourraient ne pas être finalisés dans des délais garantissant la bonne tenue du scrutin, explique l’exposé des motifs du projet de loi.
Par conséquent, la durée des mandats des conseillers prud’hommes et celle des salariés qui siégeront au sein des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) devrait être prolongée. En effet, la désignation de ceux-ci s’appuie sur les résultats de l’élection dans les très petites entreprises.
Prolongation des titres de séjour:
Par ordonnance, le gouvernement pourra prolonger la durée de validité des visas de long séjour, titres de séjour, autorisations provisoires de séjour, récépissés de demande de titre de séjour ainsi que des attestations de demande d’asile qui ont expiré ou expireront entre le 16 mars et le 15 mai 2020, et ce, dans la limite de 180 jours. Le 16 mars, la préfecture de police de Paris avait annoncé une prolongation de trois mois « afin de sécuriser la présence sur le territoire des étrangers en situation régulière » et « d’éviter toute remise en cause » de leurs droits (travail, protection sociale).